Lauréate du prix le Choix Goncourt de l’Orient 2020 pour son roman « Les Impatientes », l’auteure peule camerounaise était de passage à Beyrouth pour se voir remettre la version de son roman traduit en arabe et assister à la délibération du Choix Goncourt de l’Orient 2021.
Djaili Amadou Amal, née en 1975 dans le nord du Cameroun, est actuellement l’une des écrivaines les plus importantes de son pays où elle est surnommée « la voix des sans-voix ». À Beyrouth pour signer al-Sabirat, la traduction en arabe aux éditions Dar al-Farabi de son roman Les Impatientes, la lauréate du prix Choix Goncourt de l’Orient 2020 – prix régional littéraire francophone organisé par l’AUF au Moyen-Orient, en partenariat avec l’Institut français du Liban, parrainé par l’académie Goncourt et octroyé par les étudiants – répondait aux questions de ces derniers, de journalistes et de lecteurs au verbe riche, généreux et courageux, lors d’une rencontre au Café des lettres de l’Institut français, rue de Damas.
Son roman, paru une première fois sous le titre Munyal, les larmes de la patience, avait déjà reçu plusieurs prix, dont celui de la meilleure auteure africaine, ainsi que le prix Orange du livre en Afrique en 2019. Reprise par la maison d’édition française Emmanuelle-Colas sous le titre Les Impatientes, l’œuvre polyphonique brise les tabous en dépeignant la condition de la femme dans le Sahel. Elle raconte le destin de trois femmes camerounaises mariées de force : Ramla, Hindou et Safira. Trois femmes, trois histoires, trois destins qui se retrouveront liés. Ramla, 17 ans, épousera un homme de 50 ans, riche et très en vue dans la ville de Maroua, dans le nord du Cameroun. L’homme est cependant déjà marié à Safira, 35 ans, qui lui a donné six enfants. Sa sœur Hindou épousera son cousin Moubarak, violent et souffrant d’une addiction à la drogue. Mariage forcé, violences conjugales et polygamie vont les décider à s’affranchir de la pression de leur famille et de la société, chacune à sa manière. Et si la patience (ce fameux mounyal en langue peule) est cette vertu dont on les assomme pour supporter les choix injustes de leurs familles, elle est surtout synonyme de soumission, et d’une existence sous contrôle. « Le mot mounyal n’est pas un simple mot, dira l’auteure, c’est un mot d’ordre qui impose de se soumettre sans se plaindre, il est ce que les parents imposent à toutes les filles, une existence infernale ! » Face à un parterre d’étudiants venus de Syrie, d’Irak, d’Égypte, d’Abou Dhabi et de Palestine – en présence de Marie Buscail, directrice de l’Institut français du Liban, Jean-Noël Baléo, directeur régional de l’AUF (Agence universitaire de la francophonie au Moyen-Orient), Salma Kojok, romancière francophone et présidente du grand jury du Choix Goncourt de l’Orient, du représentant de la maison d’édition Dar al-Farabi (chargée de la traduction du roman) –, Djaili Amadou Amal a livré son regard sur la polygamie, le mariage forcé, la violence faite aux femmes, et des détails sur son livre et sur son retentissement en Afrique, en insistant sur le bonheur d’avoir été choisie par la jeunesse de l’Orient et de France, puisque son roman publié aux éditions Emmanuelle-Collas le 4 septembre 2020 avait déjà remporté le Goncourt des lycéens en 2020.
L’espoir d’un monde meilleur
« S’il y avait un choix qui me tenait à cœur, confie non sans une grande émotion l’auteure, c’était le Choix Goncourt de l’Orient. Je le désirais plus que le Goncourt lui-même. » D’abord pour une raison sentimentale, précise Djaili Amadou Amal, « étant née d’une mère égyptienne, je me considère comme le lien entre l’Orient et l’Afrique et il m’importait que ma famille égyptienne puisse me lire et me comprendre, car cette problématique est aussi le quotidien de mes cousines en Égypte et de beaucoup de femmes au Moyen-Orient ». La seconde raison était d’ordre religieux : « À chaque fois que les violences faites aux femmes étaient soulevées (le Cameroun étant un pays laïc où les ethnies cohabitent en paix), on renvoyait la question au problème de l’islam. D’aucuns m’ont reproché d’aller contre ma religion. » Obtenir ce prix était aussi un moyen pour l’auteure de faire entendre sa voix et de revendiquer avant tout son appartenance religieuse. « La violence n’est pas une question de religion, ajoute-t-elle, mais d’éducation, et le schéma que les femmes reproduisent pour avoir grandi dans des milieux qui ont banalisé le mariage forcé, la polygamie et tout ce qu’elle engendre comme violence nécessitait une voix, la mienne, pour porter toutes les autres. » De plus, pour elle, le sujet est universel : la société peule musulmane du Cameroun ressemble dans son fonctionnement à bien d’autres sociétés africaines et d’ailleurs dans le monde. La polygamie, le viol, le mariage forcé et la violence concernent beaucoup de femmes, toutes religions confondues, estime-t-elle. « Et si la jeunesse d’aujourd’hui est concernée par cette thématique et par un sujet aussi grave, cela implique qu’à l’âge adulte, les jeunes filles ne reproduiront pas ce que leurs mères leur ont inculqu, à savoir tenir le choix de l’homme pour ordre divin. C’est l’espoir d’un monde meilleur. »
L’auteure indique toutefois qu’accuser les hommes ne suffit pas, et elle insiste sur la nécessité pour les femmes de prendre leur destin en main. « Et la polygamie imposée, plutôt que de transformer les femmes en rivales et de les faire mener un faux combat, devrait les faire refuser de se plier à ce que la société attend d’elles et se battre pour de vraies valeurs. » Amal trouve que le problème réside dans le fait que les femmes n’ont pas accès à l’éducation. « Très tôt, je me suis rendu compte que les filles subissaient une discrimination à l’école. Au fur et à mesure que l’on grandissait, il y avait de moins en moins de filles en classe. L’abandon scolaire était dû au mariage forcé. » Elle qui se croyait à l’abri, de par son père professeur et éduqué et sa mère égyptienne, s’est retrouvée, comme toutes les autres filles de son âge, confrontée à un mariage forcé dès l’âge de 14 ans. « Ce qui m’a sauvée, c’était d’abord la lecture, ensuite l’écriture », déclare-t-elle. Un jour elle a pris un agenda et s’est mise à écrire pour finalement réaliser qu’elle racontait sa vie. « Grâce à la littérature, on peut non seulement changer son destin, mais aussi changer le monde », affirme celle dont le seul bonheur, coincée dans ce mariage forcé avec un homme qui avait 4 fois son âge, était d’ouvrir un livre pour s’échapper et se projeter ailleurs que dans la réalité. Et c’est lorsqu’elle est devenue mère qu’elle a pris la décision de s’enfuir pour publier son roman et protéger ses filles. « La littérature a fait des miracles, non seulement je suis devenue plus forte, mais je pouvais enfin défendre les droits de toutes les femmes : le premier pas vers la maîtrise de son destin est la sortie de l’illettrisme. »
Si aujourd’hui Djaili Amadou Amal est une romancière reconnue au Cameroun et dans le monde, si elle peut militer activement pour les droits des femmes dans les régions peules et ailleurs, c’est aux livres et à son écriture qu’elle le doit.
Femmes du Sahel
En 2012, Djaili Amadou Amal crée l’association Femmes du Sahel, qui possède deux volets : l’éducation et le développement de la femme. Elle parraine les enfants dans le nord du Cameroun pour leur donner accès à l’éducation. Entre 300 et 400 enfants sont pris en charge, de petites bibliothèques sont mises à leur disposition, des causeries éducatives, un suivi scolaire, des prêches auprès des parents, des chefs traditionnels et religieux. Elle sensibilise plus de 10 000 filles par an pour éviter que l’histoire ne se répète. L’association a pour but d’aider les femmes à être plus autonomes et pouvoir ainsi contrôler leur destin.
Source: lorientlejour.com